Le "parler bébé" appliqué aux adultes : une forme d'âgisme
Le « baby talk » ou « parler bébé » désigne un langage maternel sous une forme de langage simplifié, souvent utilisé par les adultes lorsqu’ils s’adressent à des bébés ou à des jeunes enfants. Il se distingue par des intonations enfantines, des diminutifs et des mots à consonance douce afin d’en faciliter la compréhension. Cependant, il arrive que cette pratique soit appliquée à des adultes et l’on parle alors de « elderspeak » ou langage des aînés, notamment lorsque ces personnes sont âgées ou adultes handicapées. Et en réduisant ces personnes à un état infantile, le langage bébé instaure une relation de pouvoir inégalitaire et contribue à la dévalorisation de ces adultes. Il s’agit d’une maltraitance psychologique.
Ce biais de langage, bien qu’anodin en apparence, peut avoir des conséquences néfastes sur la qualité de vie de ces personnes.
1 Comment reconnaître le « parler bébé » ?
1 – Définition
Le « baby talk » se caractérise par un ensemble de traits linguistiques spécifiques qui contribuent à créer un registre de langage enfantin. Selon Christopher Cox chercheur à l’Université de York, on retrouve :
- Une intonation exagérée : Instinctivement, le ton de la voix évolue. Il devient plus aigu, plus mélodieux.
- Un vocabulaire simplifié : On privilégie les mots courts, les diminutifs pour désigner des objets courants comme par exemple, « les yeux» pour des lunettes ou « au dodo »
- Des expressions familières : telles que « ma p’tite dame » « mon p’tit monsieur »
- Une syntaxe simple : Les phrases sont courtes et les constructions grammaticales sont simplifiées.
- Des redondances : Les mots ou les phrases sont répétés pour attirer l’attention et faciliter la compréhension.
- Un rythme lent : Le débit de parole est plus lent pour permettre à l’interlocuteur de mieux comprendre.
Ce langage, peut être adapté à la communication avec les bébés, et semble charmant et rassurant. Cependant, lorsqu’il s’adresse à des adultes, il est perçu comme condescendant et infantilisant.
2 – Origine et conséquences du « baby talk » sur la communication parent-enfant
Le « baby talk » ou langage maternel est souvent utilisé de manière spontanée et naturelle par les parents pour communiquer avec leurs bébés. Il est évolutif, les études ont démontré que la hauteur de la voix maternelle augmente pendant les premiers mois après la naissance, culmine à 4 mois, puis diminue linéairement jusqu’à l’âge de 2 ans (source : https://rdcu.be/dSBPZ). C’est pourquoi, il joue un rôle important dans le développement de l’enfant. En effet :
- Il favorise l’attachement : Le ton affectueux et les interactions ludiques du langage maternel contribuent à renforcer le lien affectif entre le parent et l’enfant.
- Il stimule le développement du langage : En exposant l’enfant à des structures linguistiques simples et répétitives, le « baby talk » l’aide à acquérir les bases du langage.
- Il facilite l’apprentissage : Le « baby talk » rend les interactions avec l’enfant plus ludiques et plus attrayantes, ce qui favorise l’apprentissage.
Cependant, l’utilisation exclusive du langage maternel simplifié peut avoir des effets négatifs sur le développement linguistique de l’enfant à long terme. Si on n’expose pas l’enfant à un langage plus complexe et varié, on risque de limiter son vocabulaire.
3 – Le « baby talk » devient le » elderspeak »
Le langage bébé est une manifestation de l’âgisme qui, je le rappelle, est la discrimination selon l’âge.
En utilisant le « parler bébé » pour s’adresser à des personnes adultes, on les réduit à un état d’incompétence.
Néanmoins, on peut expliquer ce phénomène, parfois inconscient, par des facteurs socioculturels, psychologiques et culturels :
- Stéréotypes négatifs associés au vieillissement : Les personnes âgées sont perçues par la société comme faibles, dépendantes, malades et/ou déconnectées de la réalité. Ces clichés influencent notre perception des seniors et peuvent nous inciter à adopter des comportements condescendants.
- Crainte de la mort et du vieillissement : La peur de vieillir est profondément ancrée dans la culture humaine. En infantilisant les personnes âgées, nous pouvons chercher à nier leur mortalité et à les (nous) protéger d’une réalité qui nous effraie.
- Manque de contact intergénérationnel : Le manque d’interactions entre les différentes générations peut renforcer les préjugés. Lorsque nous avons peu de contact avec des personnes âgées, il peut être maladroit de les réduire à des clichés (Hehman, Corpuz, & Bugental)
- Changements physiques et cognitifs liés au vieillissement : Les changements physiques et cognitifs liés au vieillissement sont parfois perçus comme une perte d’autonomie et de capacités. Ces changements sont susceptibles d’inciter les proches à adopter un comportement protecteur ainsi qu’à simplifier leur langage.
2 Conséquences du « parler bébé »
1 – sur les personnes concernées âgées et/ou handicapées
Bien qu’il puisse sembler inoffensif, le langage enfantin engendre des conséquences néfastes sur la qualité de vie des personnes âgées. Il contribue à une détérioration de leur qualité de vie par des conséquences psychologiques, sociales et émotionnelles. Selon Anna Corwin, professeur et chercheur, on constate notamment un(e) :
- Atteinte de l’estime de soi : En étant traitées comme des enfants, les personnes âgées se sentent infantilisées, dévalorisées et perdent confiance en elles. Elles peuvent avoir l’impression de ne plus être considérées comme des adultes à part entière.
- Limite l’autonomie : L’utilisation de ce langage donne l’impression aux personnes âgées qu’elles sont incapables de comprendre des concepts complexes ou de prendre des décisions. Cela peut les inciter à se montrer plus dépendantes et à renoncer à certaines activités.
- Isolement social : Les personnes âgées et/ ou handicapées se voient rejetées des conversations sérieuses et isolées socialement. Elles peuvent être moins enclines à participer à des activités sociales ou à entretenir des relations avec leurs pairs.
- Réduit les opportunités de développement personnel : Les personnes visées peuvent se sentir moins stimulées intellectuellement et avoir moins de possibilités de développer ou maintenir leurs compétences et leurs connaissances.
- Affecte la santé mentale : Le sentiment d’être infantilisé peut entraîner de la tristesse, de la colère, de la frustration et, à long terme, des problèmes de santé mentale tels que la dépression.
- Déconnexion du temps qui passe : Les personnes âgées peuvent avoir l’impression que le temps s’est arrêté. Elles s’empêchent de se projeter dans l’avenir ou de se remémorer le passé. Cette perte de repère peut créer un sentiment d’insécurité et de désorientation.
- Négation de la mortalité : l’abus de langage enfantin crée une atmosphère de protection excessive autour des personnes âgées, comme si l’on voulait les protéger de la réalité de leur âge et de leur fin de vie. Cette attitude peut les empêcher d’aborder sereinement les questions liées à la mort et à la fin de vie.
2 – sur les aidants et les professionnels
Le « elderspeak » n’a pas seulement des répercussions sur les personnes adultes ou âgées. Il a également un impact significatif sur les aidants et les professionnels qui travaillent avec elles.
1. Pour les aidants familiaux
- Sentiment d’impuissance : En utilisant le « baby talk », les aidants peuvent inconsciemment renforcer leur sentiment de dépendance de la personne âgée, ce qui peut les amener à se sentir impuissants face à la situation.
- Frustration : Le fait de devoir constamment simplifier son langage et adapter ses propos peut être source de frustration pour l’aidant et générer du stress.
- Épuisement émotionnel : L’utilisation du langage enfantin peut contribuer à l’épuisement émotionnel de l’aidant, qui peut se sentir infantilisé lui-même en devant adopter ce registre.
- Difficulté à maintenir une relation équilibrée : Le « baby talk » peut rendre difficile le maintien d’une relation d’adulte à adulte avec la personne âgée, ce qui peut nuire à la qualité de leur interaction.
2. Pour les professionnels de la santé
- Perte de professionnalisme : Le « elderspeak » peut être perçu comme un manque de respect pour la personne âgée et peut nuire à l’image de professionnalisme du soignant. Il engendre une perte de confiance basée sur le respect mutuel.
- Barrières à la communication : En utilisant un langage simplifié, les professionnels peuvent manquer d’opportunités d’avoir des conversations profondes et significatives avec les personnes âgées.
- Difficulté à évaluer les besoins : Le « parler bébé » peut rendre difficile l’évaluation précise des besoins de la personne âgée, car il peut masquer des difficultés de compréhension ou des problèmes de communication.
- Renforcement des stéréotypes : Le « baby talk » contribue à renforcer les stéréotypes négatifs sur le vieillissement et peut limiter les possibilités de développer des interventions adaptées aux besoins spécifiques de chaque personne âgée.
3 Les conseils à adopter
1 – Changements de comportements
Il existe plusieurs façons de s’adresser aux personnes âgées ou adultes.
- Utiliser un vocabulaire riche et varié rend les conversations plus intéressantes, et les personnes âgées et/ou handicapées sont capables d’apprendre de nouveaux mots toute leur vie. Ne vous fiez pas aux apparences. Néanmoins, vous pouvez :
- Encourager les interactions sociales : Favoriser les interactions sociales entre les différentes générations, en créant des espaces de rencontre et d’échange.
Exemple : Organiser des activités intergénérationnelles dans les quartiers, les maisons de retraite ou les centres sociaux.
- Promouvoir une culture du respect : Mettre en place des actions pour promouvoir une culture du respect envers les personnes âgées dans tous les milieux de vie.
Exemple : Créer des chartes de respect des aînés dans les entreprises, les administrations et les établissements de soins.
- Encourager l’autonomie des personnes âgées : Soutenir les initiatives qui permettent aux personnes âgées de conserver leur autonomie, le maintien à domicile et de participer à la vie de la communauté.
2 – Langage et communication
- Parler fort (sans crier) : Lorsque la personne souffre de troubles de l’audition : exprimez vous lentement en la regardant. La personne âgée a tendance à lire sur les lèvres
- Utiliser un langage respectueux : Privilégier un langage clair, direct et respectueux, en évitant les termes infantilisants et les surnoms.
Exemple : Au lieu de dire « Ma p’tite dame », préférez s’adresser à la personne par son prénom ou par son nom « Monsieur xxxx »
- Écouter activement : Accorder du temps à la personne âgée pour qu’elle s’exprime et montrer de l’intérêt pour ce qu’elle dit. Poser des questions ouvertes et reformuler ce que la personne a dit pour s’assurer d’avoir bien compris.
- Adapter sa communication : Adapter son langage et son rythme de parole en fonction des capacités de compréhension de la personne âgée. Simplifier les phrases si nécessaire, mais sans pour autant utiliser un langage enfantin.
- Employez le pronom « je » plutôt que « tu ou vous » afin de ne pas donner d’ordre ou imposer quelque chose à la personne âgée.
En bref :
Le « elderspeak » ou langage bébé est une pratique langagière véhicule des stéréotypes négatifs sur le vieillissement et contribue à la dévalorisation des personnes âgées. Il est donc essentiel de promouvoir une communication respectueuse et adaptée à l’âge. Pour cela il est indispensable de sensibiliser le grand public et les professionnels à l’âgisme, et de mettre en place des politiques publiques favorisant l’inclusion des personnes âgées, pour permettre aux seniors de vivre une vieillesse épanouie et digne.
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