Le deuil blanc : Faire face à une absence présente

Qu’est ce que le deuil des vivants ?

Le deuil des vivants nous met face à un défi : comment continuer à aimer quand l’autre change, s’éloigne ou disparaît autrement qu’à travers la mort ?

Cette perte peut prendre différentes formes : une séparation irréversible, une rupture familiale, ou encore la transformation radicale d’une personne à cause d’une maladie ou d’une addiction.

Deuil Anticipé ou pré-deuil

Le deuil anticipé se manifeste avant le décès réel d’un proche. Il survient généralement lorsque l’on est confronté à la perspective inéluctable de perdre un être cher, en raison

• d’une maladie en phase terminale
• du vieillissement avancé
• d’un accident

C’est une forme de préparation émotionnelle à la perte.

Mon Frère

Mon frère, rires, pleurs, bagarres avons partagé,
Souvent tu as gagné.
Ton cancer je n’ai pas accepté,
Le temps nous bouscule.
Face à ta lutte engagée,
Ta douleur j’ai porté,
En vain, cette fois,
Je te perds

Ce poème personnel illustre la souffrance du deuil anticipé, la douleur de voir un être cher lutter contre la maladie, tout en sachant que la fin est proche.

Deuil Blanc

Le deuil blanc, introduit dans les années 1990 par le psychiatre suisse Italo Simeone, se réfère à la perte ressenti lorsqu’une personne est toujours vivante, mais dont les capacités cognitives diminuent, généralement en raison d’une maladie neurodégénérative comme la maladie d’Alzheimer. C’est un deuil qui se vit au présent, face à une personne qui s’éloigne peu à peu emportant avec lui

• des souvenirs,
• des émotions
• une part de l’identité de ceux qui l’aiment.

Tu es Là

Tu es là, ton corps est présent,
Je peux te toucher, te caresser.
Mais tu n’es plus là, ton regard est absent,
Ton corps est une coquille vide.
Et moi ? Moi, je suis là présente à tes côtés,
Mais moi, mon âme est partie aussi dans un autre avenir.

Ces mots intimes expriment la douleur de la présence physique combinée à l’absence psychologique, le sentiment de perdre quelqu’un alors qu’il est encore là.

Deuil Anticipé vs. Deuil Blanc: Un Duel de Temporalités

Même si  le deuil anticipé et le deuil blanc sont liés à la perte, ils diffèrent dans leur temporalité et leur nature.

Bien sûr, ces deux types de deuil peuvent coexister, notamment dans le cas de maladies neurodégénératives où l’on peut à la fois anticiper la perte future et vivre le deuil blanc au quotidien

Les Différences Clés en Un Coup d’Œil

Le Deuil Blanc: Une Ambivalence Émotionnelle

Contrairement au deuil classique qui suit un décès, la personne aimée est toujours présente physiquement. C’est un deuil qui se vit au jour le jour, face à une personne qui s’éloigne sans jamais partir complètement.

Aspects Multidimensionnels du Deuil Blanc

Le deuil blanc englobe plusieurs dimensions :

• Deuil de la Relation Antérieure: La perte de la relation telle qu’elle était auparavant, avec ses échanges, ses complicités et ses projets.
• Deuil du Rôle Familial: Le passage du statut de conjoint ou d’enfant à celui d’aidant, avec les responsabilités et les sacrifices que cela implique.
• Deuil de la Normalité: La perte de la prévisibilité du quotidien, remplacée par l’incertitude et la nécessité de s’adapter constamment.

Manifestations Émotionnelles: Un Tourbillon Intérieur

Les personnes vivant un deuil blanc peuvent ressentir un mélange complexe d’émotions, incluant :

• Culpabilité
• Colère
• Frustration
• Tristesse
• Impuissance

Ces sentiments fluctuent souvent, engendrant une charge émotionnelle intense et parfois contradictoire.

Types de Deuil Blanc: Deux Approches Face à la Douleur

On distingue généralement deux types de deuil blanc qui s’entremêlent selon les circonstances :

• Deuil Intuitif: Caractérisé par des expressions émotionnelles intenses et ouvertes.
• Deuil Instrumental: Orienté vers l’action et la recherche de solutions pratiques.

 
L’Impact sur les Aidants: Un Sacrifice Invisible

Le deuil blanc affecte particulièrement les aidants familiaux. Ils doivent faire face à :

• La perte de la réciprocité dans la relation
• L’abandon des projets communs et des rêves partagés
• La transformation de leur rôle au sein de la famille

Ces défis peuvent entraîner un épuisement physique et émotionnel, ainsi qu’un sentiment d’isolement.

Comment vit on le deuil blanc : Entretien avec Céline

Pour mieux comprendre ce que vivent les proches confrontés au deuil blanc, voici le témoignage de Céline, dont le père souffre d’Alzheimer. Céline est une amie d’enfance que j’ai recroisée il y a quelques mois. Et j’ai été marquée par sa métaphore et son regard très lucide sur ses sentiments.

–Comment as-tu appris la maladie de ton papa ?
On voyait papa qui oubliait d’aller à la pharmacie, qui m’appelait par le prénom de ma sœur. Il rêvait souvent, même quand on lui parlait. Un jour je l’ai accompagné chez notre généraliste puis on a fait des tests. Et, la nouvelle est tombée : Alzheimer. Enfin, c’était pas une nouvelle plutôt une confirmation de ce qu’on pensait. C’était en 2018.

–comment ton papa a accepté le diagnostic ?
Quelque part, il a été soulagé. Il savait qu’il allait être pris en charge et pouvait mettre des choses en place.

–Et aujourd’hui que ressens-tu ?

Tu vois les héros dans les films quand ils rattrapent une personne qui tombe d’une falaise avec une main. Au début, tu attrapes la main : On a pu mettre un suivi à domicile jusqu’en 2023 avec des infirmières, du portage de repas et des AVS (auxiliaire de vie). On est même parti en vacances à la mer.
Puis la main glisse, glisse : on l’a vu décliner rapidement et on le reconnaissait plus. Avec ma sœur, on s’est découragées. On était triste et en colère à la fois parce qu’on faisait tout ce qu’on pouvait mais il déclinait quand même

Et contre ta volonté, la main lâche.  Il est devenu agressif et pouvait être dangereux pour lui-même. Alors on a été obligé de le placer en structure.
Cela a été horrible. J’avais l’impression de l’abandonner.

 Et tu regardes la chute interminable. Tu prends conscience de l’inévitable et là c’est une vraie tristesse, une déchirure.

Et maintenant, on attend qu’il touche le sol. J’attends une délivrance. C’est horrible à dire, mais ce n’est pas une vie, ce n’est pas lui. Il aurait jamais voulu attendre comme ça, la mort, la bouche ouverte sur un lit.
D’ailleurs, pour moi, il est mort quand il est rentré dans l’Ehpad.

Reconnaissance et Gestion du Deuil Blanc: Un Chemin vers l’Acceptation

L’Importance de la Reconnaissance

Identifier et nommer le deuil blanc est une étape importante pour les aidants. Cette reconnaissance permet de légitimer les émotions ressenties et d’amorcer un processus d’adaptation. C’est un premier pas vers l’acceptation.

Stratégies pour Faire Face au deuil blanc

Le temps qui passe ne remplace pas ce qui a été, mais il nous apprend à tisser de nouveaux liens avec nos souvenirs. Accepter ces changements, c’est peut-être aussi grandir en humanité et en sagesse. à transformer notre relation, à accepter l’inévitable et à trouver du sens dans l’absence présente.

Rechercher du soutien:

• • Rejoindre des groupes de soutien et d’échanges pour partager son expérience.
  • Se confier à des proches de confiance (famille, amis, collègues).
  • Consulter des professionnels de santé (psychologues, médecins).
  • Participer à des formations animées par des psychologues et d’anciens aidants.

S’informer sur la maladie:

• • Se renseigner sur les symptômes et l’évolution de la pathologie.
  • Consulter des sites spécialisés et contacter des organismes experts.
  • Échanger avec le personnel soignant et les intervenants à domicile.

Prendre soin de soi:

• • Accordez vous du temps pour soi,
  • Maintenez une alimentation équilibrée et une activité physique régulière.
  • pratiquez des activités sociales et des loisirs.
  • Exprimez vos émotions par des moyens créatifs comme l’art ou l’écriture.

Adapter la communication:

• • Apprenez des stratégies de communication adaptées à la personne malade.
  • Maintenez un contact significatif à travers les mots, les sens, la musique, les photos.
  • Concentrez vous sur les moments de qualité encore possibles avec votre proche

Se préparer à l’évolution de la maladie:

• • Anticipez les différentes étapes de la maladie.
  • Faîtes vous accompagner par des professionnels pour les décisions de fin de vie.

Pratiquer l’acceptation:

• • Acceptez de voir l’être cher tel qu’il est maintenant, plutôt que tel qu’il était.
  • Les sentiments ambivalents sont normaux.

En appliquant quelques uns de ces conseils, vous pourrez préparer le processus complexe du deuil blanc et préserver votre bien-être émotionnel tout en accompagnant votre proche.

Se Préparer à la Fin de Vie : Un Accompagnement Bienveillant

Se préparer à la fin de vie d’un proche est un processus émotionnellement difficile, mais certains gestes peuvent aider à traverser cette période. 

Communication et Présence

Accompagner un proche dans la maladie ou le changement de sa personnalité, c’est aussi apprendre à redéfinir la relation qui nous unit à lui.

• Écoutez activement votre proche, en lui permettant d’exprimer ses craintes et ses souhaits.
• Soyez présent, que ce soit par l’écoute ou le toucher si approprié.
• Respectez les moments de silence, qui peuvent être tout aussi importants que les conversations
• Laissez la personne aborder le sujet de la mort à son rythme, sans la forcer.

Soutien Émotionnel et Spirituel

• Créez un environnement calme et apaisant pour favoriser la détente
• Soyez honnête dans vos échanges, sans chercher à minimiser la situation ou à faire semblant que tout va bien.
• Partagez des souvenirs positifs et exprimez votre affection, si cela vous semble approprié.

Préparation Pratique

• Anticipez les formalités administratives liées au décès pour réduire le stress ultérieur.
• Préparez une valise avec vos effets personnels au cas où vous devriez passer la nuit auprès de votre proche.

Directives Anticipées

• Aidez votre proche à rédiger ses directives anticipées s’il le souhaite, en discutant de ses préférences pour les soins de fin de vie.

• Respectez ses besoins spirituels et facilitez l’accès à un soutien religieux s’il le désire.

La mort,
n’est pas la pire chose de la vie.
Le pire,
c’est ce qui meurt en nous, quand on vit
Albert Einstein

Conclusion: Un Deuil Silencieux, une Douleur Partagée

Avec le temps, on comprend que chaque séparation fait partie du grand cycle de la vie. La sagesse ne consiste pas à effacer la douleur, mais à l’apprivoiser.

Si le deuil traditionnel marque une fin nette, le deuil des vivants nous enseigne que l’amour, lui, ne disparaît pas. Il se métamorphose, s’adapte.

À travers le deuil blanc et le deuil anticipé, nous naviguons entre souvenirs et réalité, entre attachement et détachement. Ce processus de deuil unique nécessite un soutien approprié aux personnes qui le traversent. C’est en brisant le silence autour de ce deuil silencieux que l’on peut offrir un accompagnement véritablement humain et bienveillant.

Ce chemin, douloureux, peut être une opportunité de transformation, où le temps et la bienveillance et la sagesse et l’acceptation permettent d’apaiser la souffrance